Un soir d’octobre


Mon très cher plus vieil ami,

Je pensais à t’écrire, comme un peu tout le temps en ce moment, puis la radio a passé un disque de Bowie, comme un signe.
Je suis bienheureuse que mes lettres te plaisent, c’est ma façon d’être avec toi.
Nous sommes tous avec toi.
Tu me dis qu’elles te font voyager, moi aussi, un voyage dans ma vie, ma mémoire, notre mémoire commune.Je suis passée avec Weber chez Ivy il y a quelques jours, une visite rapide mais qui m’a fait un bien fou, elle est si lumineuse. Elle habite une maison qu’elle rend belle, chez son amoureux, Tutu, elle est toujours ce sourire éclatant. Cela faisait longtemps que l’on ne s’était pas vues, les années Covid nous ont tous physiquement éloignés, nous n’avons pas encore retrouvé la proximité, mais rien n’a changé dans nos proximités de cœur.
On s’est écrit un petit mot après pour se dire comme nous avions été enchantées de nous voir, elle m’a dit que cela lui avait fait du bien de me voir heureuse.
Je crois qu’elle a raison, je suis heureuse.
Tu te souviens ce que tu me disais quand j’avais vingt ans : que j’allais trop vite, tu avais peur qu’il ne me reste plus rien à vivre. Mais tu vois bien, cela ne finit jamais.
J’ai soudain tant de choses qui reviennent, des souvenirs déboulent tous azimuts, souvent un peu flous, vagues, des impressions, quelques images.
Tu connais ma relation au passé, il n’est plus alors il ne m’intéresse pas beaucoup, le présent est si prenant, passionnant, j’y consacre mon attention.
N’empêche que c’est un plaisir de le visiter, un peu en touriste, ce passé l’un de l’autre dont chacun connaît presque tout.
Penser à la jeune fille de dix-sept ans qui tombe amoureuse au premier regard de ce vagabond de trente-sept me donne envie d’écrire cette rencontre.
Te dire comme je la vois, quarante-six ans plus tard.
Rien que d’écrire ce chiffre me fait rire, nous n’aurions pu soupçonner ça, c’était pour de vrai pour toute la vie.
Oui, comme on se l’est dit au téléphone, c’est une belle histoire.
Hier soir, je fumais une cigarette sous le préau, face à la nuit, juste la lune et les nuages, le chat sur la chaise à côté. J’avais l’impression de te voir, assis à la table dehors, ton verre de rouge, ta cigarette, seul, face à la nuit, face à la lune. J’ai cette photo de toi dans beaucoup d’endroits, de Mulhouse (la cuisine décorée Coca Cola) au Campement, même à Marseille, je te vois là, assis à ta table, pestant contre les mobylettes en écoutant Bob Marley ou les Stones.
Le temps me manque en ce moment pour écrire, je ne suis pas régulière, ça ne fait qu’accentuer le plaisir quand je peux voler quelques espaces au quotidien et à ses tâches, et puis ça n’empêche pas d’écrire dans sa tête, comme tu le fais, je le sais
Ce sera tout pour aujourd’hui mais je reviens vite.
Force, amour et douceur à toi.