A l’aube de mes 6,5 décennies


Le sentiment de vieillesse
Nancy Huston

Oui. Je trouve que j’ai eu une vie magnifique. C’est comme si j’avais fait de l’alpinisme avec la face de la montagne toujours là, devant les yeux. Et petit à petit, ces dernières années, je me trouve en haut de la montagne, avec une vue resplendissante dans toutes les directions. Je vois les décennies que j’ai traversées, les forêts, les lacs et les villages. C’est assez extraordinaire d’avoir cette perspective sur le temps. D’avoir rencontré des gens bébés et de les connaître adultes, d’avoir suivi le vieillissement et la mort des proches. D’avoir vu les temps changer, l’époque changer, les vocabulaires se transformer.
Comme je suis écrivaine, je suis en permanence à l’écoute du monde. Et c’est une chance fantastique d’avoir sept décennies de réel à ma disposition.
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Cela fait un bien fou de se réveiller le matin en se considérant tout simplement comme un animal, un être vivant qui a le droit de circuler, respirer, manger, aimer, dormir le soir, vivre et mourir comme tous les animaux l’ont toujours fait, sans justifier son existence à chaque seconde. On naît et on meurt, c’est juste normal, il n’y a rien de dramatique là-dedans. Nous autres humains avons une idée hypertrophiée de notre importance.

Madame Huston


Nous avons produit des hommes plus violents que nécessaire, en choisissant des hommes forts sur des milliers, des millions d’années. On a choisi les hommes pour leur capacité de tuer et en fait, on a créé une espèce qui est beaucoup plus violente qu’il ne faudrait. Les femmes, je vous dis sincèrement, il faudrait aimer les doux, et il faudrait montrer aux hommes que nous les aimons quand ils sont doux.

[Nancy Huston in La Grande Librairie]