Mon très cher plus vieil ami,
Les nouvelles sont bonnes, compte tenu des circonstances.
Tu es chez toi, tes nuits sont calmes, tu ne souffres pas et ta Douce me dit que tu es debout dans la journée même si tu dors beaucoup.
Elle m’a dit que tu utilises ta tablette, donc tu dois lire ces mots.
Malgré la fatigue et le crabe, je sais que mes lettres te distraient et te touchent.
Aujourd’hui il fait froid et grand soleil, la maison est baignée de lumière.
Le Luberon fait le malin au loin. A la radio passe un morceau de Stevie Wonder, chaque fois que je l’entends, je ne peux m’empêcher de penser à ce copain à Montbéliard. Je vois son visage mais je ne suis pas certaine de son prénom, Jean-Michel, je crois. Il était musicien, fan de Stevie Wonder, j’ai encore en mémoire son interprétation de Isn’t she lovely. Il venait souvent à la maison. Tu te souviens ? Bien sûr que tu te souviens, nous avons tous été traumatisés. Il était parti en vacances en Italie avec la jeune femme qui tenait le magasin de chaussures dans la rue principale. Ils campaient et ont été tués par un tueur en série « Le monstre de Florence » qui n’a jamais été retrouvé. C’est difficile à croire ces choses-là, à comprendre que ça existe pour de vrai.
Je ne voulais pas plomber l’ambiance, c’est juste qu’il passait Stevie Wonder à la radio.
Quand je pense à notre vie à Montbéliard, je pense aussi souvent à la première fois où je suis venue dans le Luberon. Je ne sais plus si tu avais déjà trouvé la maison à Cucuron, en tout cas tu étais installé dans le Sud, j’étais enceinte du Pitchoun. C’est un voyage dont je me rappellerai toute ma vie, avec Philippe et Doro. Nous avions passé la nuit dans notre appartement de Montbéliard à jouer aux cartes, le plan était de te rejoindre le lendemain dans le Sud avec notre vieille 2CV. C’est comme ça à cet âge-là, on passe la nuit à faire la fête et on traverse la France le lendemain, comme si de rien. Mais au moment de partir la 2CV ne démarre pas, Philippe s’y connaissait un peu en mécanique et le diagnostic nous a démoralisés, il n’y avait rien à faire. De toute façon nous n’avions pas les moyens de la faire réparer. Qu’à cela ne tienne, la solution est venue comme une évidence, je peux le raconter maintenant, il y a largement prescription, nous n’avions qu’à voler une voiture. Nous n’étions pas des professionnels, plutôt une équipe de bras cassés, le plus facile à voler était une autre 2CV. Aussitôt dit, aussitôt fait. Le voyage fut évidemment épique, par les plus petites routes pour éviter la maréchaussée. Ça me fait toujours sourire de penser que la première fois que j’ai découvert cette région qui est devenue celle de ma vie et de mon cœur, c’était dans une 2CV volée et enceinte jusqu’au cou.
On change beaucoup au fil du temps, je ne pourrais même plus voler un stylo.
Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts.
Comme depuis la création de ce morceau qui passe à la radio maintenant, le Money de Pink Floyd, il n’a pas pris une ride. Lui.
On parle beaucoup de retraites en ce moment, on ne savait pas qu’on serait un jour concernés, cela paraissait un autre monde. Toi, tu y es depuis un moment, moi je m’en rapproche. Ça me fait rire d’écrire ça. C’est la citation très juste (attribuée à Groucho Marx mais ce n’est pas sûr): Dans chaque vieux, il y a un jeune qui se demande ce qui s’est passé.
Tu ne me verras pas manifester pour contester la nouvelle réforme, très égoïstement elle m’arrange. Femme, carrière hachée, la plupart du temps au smic, j’ai tout à y gagner, en ce qui me concerne elle s’apparente à une mesure de gauche. Mais je ne jette pas le pavé à ceux qui se lèvent contre, chacun a ses raisons.
Je viens d’avoir le Voyageur au téléphone, il est reparti en Géorgie depuis quelques jours, il travaille à fond, il s’éclate, il t’embrasse. Je suis toujours inquiète de le savoir si près de la Russie et des délires de Poutine mais il m’a promis de revenir très vite si ça chauffe.
Je suppose que tu as vu les photos de la grande fête de notre petite-fille. J’ai été très émue en les regardant, parfois l’amour et la beauté à haute dose feraient presque mal. C’est une sensation que j’ai parfois à la lecture d’un poème ou en écoutant une chanson, ou face à n’importe quelle œuvre d’art, quand cela te touche si loin, si fort, avec tant de puissance que c’en est presque douloureux. Le bonheur fait ça aussi des fois.
Je crois que c’est un peu cela que j’ai ressenti à la naissance de notre fils, un amour si intense qu’il fait voler les repères en éclat et déstabilise tout ton univers.
En parlant d’art, je n’écris pas en ce moment, à part ces lettres pour toi, quelques poèmes, ce n’est pas le temps de l’écriture.
Je crois que mon prochain grand projet sera plutôt romanesque mais pour cela il faut avoir le temps et l’esprit libres. Je vais peut-être attendre la retraite, c’est une histoire de deux ou trois ans, c’est-à-dire demain, on sait à quelle vitesse ça passe.
J’espère t’avoir un peu distrait, je m’aperçois que cette lettre n’est pas d’une grande gaieté, je ferai mieux à la prochaine. Il faut dire que ta maladie nous plonge tous dans la tristesse.
Ne t’inquiète pas, on rigole toujours, et on va rigoler encore ensemble (je viens passer un après-midi avec toi la semaine prochaine, je te ferai une petite infusion qui fait rire), mais on a aussi le droit d’être triste.
Je connais peu de personnes aussi équanimes que toi, cela bien doit bien te servir dans un moment pareil. Je voulais te dire aussi comme c’est réconfortant pour tes proches de savoir ta Douce auprès de toi avec toute sa tendresse, sa générosité (et son efficacité).
Aujourd’hui commence le nouvel an chinois, c’est l’année du lapin ou du chat selon les horoscopes, c’est ton année, celle d’un grand changement, que dirais-tu d’une miraculeuse guérison ? Je suis persuadée que tu en es capable.
La force de l’esprit…
Les nouvelles sont bonnes, compte tenu des circonstances.
Tu es chez toi, tes nuits sont calmes, tu ne souffres pas et ta Douce me dit que tu es debout dans la journée même si tu dors beaucoup.
Elle m’a dit que tu utilises ta tablette, donc tu dois lire ces mots.
Malgré la fatigue et le crabe, je sais que mes lettres te distraient et te touchent.
Aujourd’hui il fait froid et grand soleil, la maison est baignée de lumière.
Le Luberon fait le malin au loin.
A la radio passe un morceau de Stevie Wonder, chaque fois que je l’entends, je ne peux m’empêcher de penser à ce copain à Montbéliard. Je vois son visage mais je ne suis pas certaine de son prénom, Jean-Michel, je crois. Il était musicien, fan de Stevie Wonder, j’ai encore en mémoire son interprétation de Isn’t she lovely. Il venait souvent à la maison. Tu te souviens ? Bien sûr que tu te souviens, nous avons tous été traumatisés. Il était parti en vacances en Italie avec la jeune femme qui tenait le magasin de chaussures dans la rue principale. Ils campaient et ont été tués par un tueur en série « Le monstre de Florence » qui n’a jamais été retrouvé. C’est difficile à croire ces choses-là, à comprendre que ça existe pour de vrai.
Je ne voulais pas plomber l’ambiance, c’est juste qu’il passait Stevie Wonder à la radio.
Quand je pense à notre vie à Montbéliard, je pense aussi souvent à la première fois où je suis venue dans le Luberon. Je ne sais plus si tu avais déjà trouvé la maison à Cucuron, en tout cas tu étais installé dans le Sud, j’étais enceinte du Pitchoun. C’est un voyage dont je me rappellerai toute ma vie, avec Philippe et Doro. Nous avions passé la nuit dans notre appartement de Montbéliard à jouer aux cartes, le plan était de te rejoindre le lendemain dans le Sud avec notre vieille 2CV. C’est comme ça à cet âge-là, on passe la nuit à faire la fête et on traverse la France le lendemain, comme si de rien. Mais au moment de partir la 2CV ne démarre pas, Philippe s’y connaissait un peu en mécanique et le diagnostic nous a démoralisés, il n’y avait rien à faire. De toute façon nous n’avions pas les moyens de la faire réparer. Qu’à cela ne tienne, la solution est venue comme une évidence, je peux le raconter maintenant, il y a largement prescription, nous n’avions qu’à voler une voiture. Nous n’étions pas des professionnels, plutôt une équipe de bras cassés, le plus facile à voler était une autre 2CV. Aussitôt dit, aussitôt fait. Le voyage fut évidemment épique, par les plus petites routes pour éviter la maréchaussée. Ça me fait toujours sourire de penser que la première fois que j’ai découvert cette région qui est devenue celle de ma vie et de mon cœur, c’était dans une 2CV volée et enceinte jusqu’au cou.
On change pas mal au fil du temps, je ne pourrais même plus voler un stylo.
Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts.
Comme depuis la création de ce morceau qui passe à la radio maintenant, le Money de Pink Floyd, il n’a pas pris une ride. Lui.
On parle souvent de retraites en ce moment, on ne savait pas qu’on serait un jour concernés, cela paraissait un autre monde. Toi, tu y es depuis un moment, moi je m’en rapproche. Ça me fait rire d’écrire ça. C’est la citation très juste (attribuée à Groucho Marx mais ce n’est pas sûr): Dans chaque vieux, il y a un jeune qui se demande ce qui s’est passé.
Tu ne me verras pas manifester pour contester la nouvelle réforme, très égoïstement elle m’arrange. Femme, carrière hachée, la plupart du temps au smic, j’ai tout à y gagner, en ce qui me concerne elle s’apparente à une mesure de gauche. Mais je ne jette pas le pavé à ceux qui se lèvent contre, chacun a ses raisons.
Je viens d’avoir le Voyageur au téléphone, il est reparti en Géorgie depuis quelques jours, il travaille à fond, il s’éclate, il t’embrasse. Je suis toujours inquiète de le savoir si près de la Russie et des délires de Poutine mais il m’a promis de revenir très vite si ça chauffe.
Je suppose que tu as vu les photos de la grande fête de notre petite-fille. J’ai été très émue en les regardant, parfois l’amour et la beauté à haute dose feraient presque mal. C’est une sensation que j’ai parfois à la lecture d’un poème ou en écoutant une chanson, ou face à n’importe quelle œuvre d’art, quand cela te touche si loin, si fort, avec tant de puissance que c’en est presque douloureux. Le bonheur fait ça aussi des fois.
Je crois que c’est un peu cela que j’ai ressenti à la naissance de notre fils, un amour si intense qu’il fait voler les repères en éclat et déstabilise tout ton univers.
En parlant d’art, je n’écris pas en ce moment, à part ces lettres pour toi, quelques poèmes, ce n’est pas le temps de l’écriture.
Je crois que mon prochain grand projet sera plutôt romanesque mais pour cela il faut avoir le temps et l’esprit libres. Je vais peut-être attendre la retraite, c’est une histoire de deux ou trois ans, c’est-à-dire demain, on sait à quelle vitesse ça passe.
J’espère t’avoir un peu distrait, je m’aperçois que cette lettre n’est pas d’une grande gaieté, je ferai mieux à la prochaine. Il faut dire que ta maladie nous plonge tous dans la tristesse.
Ne t’inquiète pas, on rigole toujours, et on va rigoler encore ensemble (je viens passer un après-midi avec toi la semaine prochaine, je te ferai une petite infusion qui fait rire), mais on a aussi le droit d’être triste.
Je connais peu de personnes aussi équanimes que toi, cela bien doit bien te servir dans un moment pareil. Je voulais te dire aussi comme c’est réconfortant pour tes proches de savoir ta Douce auprès de toi avec toute sa tendresse, sa générosité (et son efficacité).
Aujourd’hui commence le nouvel an chinois, c’est l’année du lapin ou du chat selon les horoscopes, c’est ton année, celle d’un grand changement, que dirais-tu d’une miraculeuse guérison ? Je suis persuadée que tu en es capable.
La force de l’esprit…
Je t’embrasse et t’aime pour toujours.
Je t’embrasse et t’aime pour toujours.
P.S. Tu as sans doute entendu parler de ChatGPT, c’est un site où une intelligence artificielle écrit ce que tu lui demandes (un article, une chanson, une histoire…) et répond à toutes tes questions. Je lui ai demandé le sens de la vie en une phrase, je te livre la réponse :
Le sens de la vie est subjectif et peut varier pour chaque individu.
Nous voilà fixés.
Si tu veux tester, voilà le lien ICI, je te préviens l’intelligence artificielle est nulle pour les blagues.