Une lettre de l’année dernière


Mon très cher plus vieil ami,

Je bois un petit porto (comme ma mère), en fumant une cigarette, dehors dans la nuit. Je pense à toi, à ma visite à l’hôpital cet après-midi. J’ai bien compris que ce n’était pas un bon jour, tu étais trop fatigué.
Nous n’avons pas fumé ce joint demandé que j’avais roulé avec amour, tu penseras à moi quand tu le fumeras, je suis heureuse que la bière fraiche t’ai fait tant plaisir.
Tu m’as dit : c’est la fin, c’est la vie… J’aurais voulu te demander plein de choses mais je voyais bien que tu étais épuisé. J’aurais voulu savoir si tu étais angoissé, tu ne le parais pas mais je sais bien que tu caches tes sentiments en grand solitaire que tu es.Notre fils m’a dit que tu devrais sortir dans deux jours, ton vœu de mourir chez toi seras exaucé, c’est déjà bien.
Comme je te l’ai dit, on ne peut pas s’y faire, on ne peut pas intégrer cette réalité.
Cela m’a fait du bien de passer cet après-midi près de toi, quand tu dormais je lisais ou je te regardais. On partageait l’air et l’instant.

Je reprends cette lettre quelques jours plus tard. Entre Noël et jour de l’An. C’était un merveilleux Noël, les enfants sont restés deux jours, c’était la première fois depuis mon départ du Campement que nous étions tous réunis pour Noël, ces dernières années il manquait toujours l’un ou l’autre.
Cela fait longtemps que nous ne passons plus Noël avec toi mais tu étais très présent.
Comme ce matin où je me suis levée à l’aube pour passer ce moment avec toi. Je regarde arriver le jour et je pense à toi, je ne sais pas si tu te réjouis de ce nouveau jour. Je sais que tu en as marre, mais en même temps chaque jour c’est être encore là, un peu.
Ta douce m’a dit hier au téléphone que tu ne parlais pas, que tu ne parlais plus, tu n’as pas dit un mot quand le Pitchoun est passé te voir. Que tu demandes juste la paix.
Je n’arrive pas à le penser, que tu es en train de mourir.
La raison le dit, le cœur ne comprend pas.
Tout ce qui se passe maintenant est dans le but que tu ne souffres pas.
Le chat vient me faire un câlin, elle sent ma tristesse. Ils sentent tout. Tu te souviens de Coca et Cola ? Nos deux chats noirs. Je les vois dans notre appartement de Montbéliard, sur la commode noire dans le salon, devant le mur tapissé d’une vue de New-York la nuit. Je revois cet endroit, Impasse de la Fleur, la cuisine jaune, le salon noir et jaune, la salle de bains en noir et blanc, la chambre noire et rouge, l’appartement où nous avons accueilli le Pitchoun (il y a donc quarante ans), sa chambre aux couleurs pastel.
Je me souviens aussi des nuits à jouer aux cartes ou au Risk, à fomenter des coups, un peu minables il faut l’avouer, à rire beaucoup.
Il faudrait que je l’écrive un jour, cette vie, cette époque, au dernier millénaire. Mais pour ça il faudrait la revivre, en prendre le temps.
Je ne suis pas prête, je suis dans l’instant, me sentir proche de toi, je te connais si bien, depuis si longtemps, il me semble sentir ce qui se passe à l’intérieur de toi. C’est un leurre, je sais, je me doute bien qu’on est seul avec soi aux derniers jours de notre vie, mais j’ai le sentiment par moment de rejoindre ton esprit visitant tes souvenirs dont je fais partie.
Je te signale qu’il y a plusieurs promesses que tu n’as pas tenues, tu avais dit que si tu te savais condamné tu ferais un braquage pour mettre ta famille à l’abri. Bon, je comprends un peu, organiser un braquage à 83 ans à l’ère électronique, fatigué par la maladie, ne doit pas être facile mais ça aurait de la gueule.
Comme j’aimerais parler avec toi ! Comme j’ai toujours aimé parler avec toi ! Il y peu de personnes sur Terre avec qui j’aime parler, et pas plus d’une ou deux autant qu’avec toi.

C’est le soir, je fume en regardant la lune, les étoiles, je me dis que de la chambre d’hôpital où tu es retourné tu vois un bout de ciel qui est le même. Tu es encore pour quelques temps dans ce même monde que moi, de loin et de si près. Tu occupes beaucoup de mes pensées, c’est une façon d’être auprès de toi en ce moment si incroyable.

Je t’aime pour toujours.