Mon très cher plus vieil ami

Tu es en train de mourir
notre fils est près de toi
ta compagne est près de toi
moi, je suis plus loin mais je suis là
au nom de toute notre vie je suis là
j’ai fumé un calumet en regardant les étoiles
parce que tu es en train de mourir
pour être près de toi
pour te tenir la main
on a toujours été d’accord que c’est moi qui tenait le compte
cela fait 48 ans que l’on chemine ensemble
de plus ou moins loin mais jamais séparés
tuit ans
on lui avait dit quand il était petit
chacun reprend seul sa route mais tes parents ne se séparent pas
je n’arrive pas à croire que nous en sommes là
je n’arrive pas à penser un monde où tu n’es pas à portée de voix
à portée de mots

Dans quelques jours ou quelques heures le téléphone va sonner
tu seras parti
sans retour
la route est toujours trop courte
mais 85 printemps, c’est classieux
pour un qui voulait s’arrêter à 45
les médecins se demandent pourquoi tu tiens encore si bien
moi je sais
sous morphine, défoncé,
légal et gratuit, tu profites du voyage
nous savons, tous ceux qui te connaissent
comme tu as le cœur vaste et solide

Je te remercie de beaucoup de choses
je ne vais pas faire la liste
juste te dire que tu es la rencontre fondatrice de ma vie
tout le reste en découle
et au bout du compte (puisque c’est moi qui les tiens) le tableau est lumineux
il restera la clarté de tes yeux
ton humour… belge
ta science de l’humain
ta générosité, ta candeur joueuse
et toute une famille
tu peux partir tranquille
le monde a aimé ta présence

je t’aime pour toujours

Très cher plus vieil ami


J’ai rêvé de toi et mon rire m’a réveillée (je pourrais t’en donner l’heure si je m’en souvenais)
Je ne suis pas sûre que ce soit encore drôle à la lumière du jour
je ne sais pas si c’est de l’humour noir ou pas d’humour du tout
je te raconte quand même

Je suis dans une pièce, une cuisine je crois, toi tu arrives avec ton crabe dans la gorge qui t’empêche d’articuler, tu entres dans la pièce et me dis quelque chose en enlevant ta veste, ce sont plutôt des borborygmes, je t’avise :
Je n’ai pas compris ce que tu as dit !
Et tu me réponds (clairement)
Tu n’es pas bien charitable !
Ensuite nous partons d’un grand éclat de rire.

Alors ? Ça t’a fait rire ou pas ?

D’un soir d’octobre


Mon très cher plus vieil ami,

Je t’assure que pas un jour ne passe sans que je pense à toi, si ma présence n’est pas effective, j’espère qu’elle est tout de même réelle pour toi.
Je sais ton plaisir à découvrir ma lette le matin.
C’est ma seule raison de l’écrire. (suite…)

De fin de saison


Mon très cher plus vieil ami

Quelques nouvelles d’ici pour ton plaisir de lire.
Ça sent la fin de la saison. Moins de travail mais la fatigue qui vient.
La fraîcheur des nuits revigore après les excès de l’été.
J’adore ce moment, les prémices de l’automne dans les dernières chaleurs.
L’été était parti en week-end et avait prêté quelques jours sa saison à l’automne, mais il est de retour, adouci par septembre. Nous nous régalons à manger dehors, midi et soir. (suite…)

Cette fin de juillet

 

Mon très cher plus vieil ami,

Cela fait longtemps que je ne t’ai pas écrit.
Tu sais, toi mieux que quiconque, comment passent les jours et comment ne pas donner de nouvelles n’est pas une absence.
Je grignote du temps au travail alimentaire, à la chaleur, à la paresse, pour te distraire et pour mon plaisir à t’écrire.
Que pendant quelques lignes, tu oublies ta grande fatigue. (suite…)

Fin février


Mon très cher plus vieil ami

Juste quelques mots pour te remercier de ce si bon moment passé ensemble. Nous en sommes revenus rieurs.
Merci pour le carburant nécessaire à mon activité d’écriture.
Il y avait bien longtemps que nous ne t’avions pas vu aussi vaillant, présent, et joyeux. (suite…)

Un dimanche de janvier


Mon très cher plus vieil ami,

Les nouvelles sont bonnes, compte tenu des circonstances.
Tu es chez toi, tes nuits sont calmes, tu ne souffres pas et ta Douce me dit que tu es debout dans la journée même si tu dors beaucoup.
Elle m’a dit que tu utilises ta tablette, donc tu dois lire ces mots.
Malgré la fatigue et le crabe, je sais que mes lettres te distraient et te touchent.
Aujourd’hui il fait froid et grand soleil, la maison est baignée de lumière.
Le Luberon fait le malin au loin. (suite…)

Une lettre de l’année dernière


Mon très cher plus vieil ami,

Je bois un petit porto (comme ma mère), en fumant une cigarette, dehors dans la nuit. Je pense à toi, à ma visite à l’hôpital cet après-midi. J’ai bien compris que ce n’était pas un bon jour, tu étais trop fatigué.
Nous n’avons pas fumé ce joint demandé que j’avais roulé avec amour, tu penseras à moi quand tu le fumeras, je suis heureuse que la bière fraiche t’ai fait tant plaisir.
Tu m’as dit : c’est la fin, c’est la vie… J’aurais voulu te demander plein de choses mais je voyais bien que tu étais épuisé. J’aurais voulu savoir si tu étais angoissé, tu ne le parais pas mais je sais bien que tu caches tes sentiments en grand solitaire que tu es. (suite…)

Un dernier dimanche d’octobre


Mon très cher plus vieil ami

J’espère que cette lettre te trouvera dans un bon jour.
C’est un dimanche pluvieux, gris, pour nous changer les idées, Weber et moi sommes allés boire un verre au Goultois, c’est le bar sympa du quartier. A 12 km tout de même mais c’est comme ça à la campagne.
Tu connais ces sensations, ce sont 12 km de pur paysage, sans presque personne sur les routes, une promenade. (suite…)

Un soir de novembre


Mon très cher plus vieil ami,

Quel bonheur de t’entendre, en tendre, de savoir que tu me lis, avec plaisir. Bonheur d’avoir trouvé cette façon d’être avec toi dans cette redoutable épreuve. De rester proche.
Tout mon parcours depuis que je suis partie de chez mes parents est déterminé par cette rencontre.
1978, j’ai dix-sept ans et je ne suis pas bien sérieuse. Je suis un peu grave, c’est ma nature, mais pas sérieuse. Je suis naïve, je vis dans les livres et dans mes rêves. Je crois avoir un destin, je suis le vent. (suite…)

La nostalgie est toujours ce qu’elle est


C’est drôle ce que l’on retient de sa vie, des souvenirs passent, comme s’ils rendaient visite. Des détails que l’on n’avait donc pas oubliés.
C’est pour moi une des bonnes choses de l’âge, comme un voyage d’un instant sur une autre planète.
Il s’y mêle un brin de nostalgie, c’est un sentiment que j’ai plaisir à éprouver ; son charme réside dans sa fugacité, autrement ce serait amer. (suite…)

Un dernier soir d’octobre

Mon très cher plus vieil ami,


Tu connais cela, les tablées d’amis, tout ce qui circule. Tu les aimerais les amis d’ici. Tous comme des personnages de roman. Tu sais ça aussi, quand on y regarde de près, tout le monde est un personnage de roman mais certains ont des faits ou des choix dans leur vie qui la rend particulièrement romanesque. Les amis d’ici sont de cette sorte, ils ont tous emprunté des chemins de traverse. (suite…)

Un soir d’après


Mon très cher plus vieil ami,

Je reviens de la grande fête de notre petite-fille.
Je ne suis pas encore redescendue. Trois jours hors du temps, dans un cadre de carte postale, cinquante personnes réunies pour l’amour d’une petite fille rieuse et de ses fantastiques parents.
Des émotions, des rires, des jeux, à manger, à boire, tout à profusion.
Des retrouvailles, toute ta famille, tes filles, tes petits-fils, ton frère et sa moitié, que je n’avais pas vus depuis longtemps, des accolades, des conversations, et des rires et des rires. (suite…)

Un autre soir d’octobre


Mon très cher plus vieil ami,

C’est incroyable non ? Gigi, le retour !
Cela fait plus de quarante ans que nous ne nous sommes pas vus, elle m’envoie une photo de nous où je n’ai même pas vingt ans, elle m’apprend qu’elle suit mon blog tous les jours, qu’elle a lu tous mes livres… que mon écriture lui parle.
Je ne l’avais pas oubliée, nous avons beaucoup trop ri ensemble. J’y pensais de temps en temps. Je crois que nous en avons parlé quelques fois. (suite…)

Un soir d’octobre


Mon très cher plus vieil ami,

Je pensais à t’écrire, comme un peu tout le temps en ce moment, puis la radio a passé un disque de Bowie, comme un signe.
Je suis bienheureuse que mes lettres te plaisent, c’est ma façon d’être avec toi.
Nous sommes tous avec toi.
Tu me dis qu’elles te font voyager, moi aussi, un voyage dans ma vie, ma mémoire, notre mémoire commune. (suite…)

Un soir

Mon très cher plus vieil ami,

Bien sûr, je pense à toi tous les jours.
C’était bon d’entendre ta voix, un peu bionique mais c’était tout de même ta voix.
C’est donc bien décidé, plus de chimio, je comprends que tu ne veuilles plus t’infliger cette douleur, c’est ton fameux mektoub qui a régi ta vie, il y a de la cohérence. (suite…)